Lettre d'un FAN

Michel WELFRINGER

87 rue Saint...

75011 PARIS

                                                                                                EVELYNE LEVASSEUR

                                                                                                

                                                                                                52 Boulevard Chave

                                                                                                13005 MARSEILLE


Paris le 26 Octobre 2010

                                       pour le point final,

                                                                 mais commencé bien en amont, courant juillet !



Bien le Bonjour Evelyne !

                                                Ou plutôt


« - Alors…, vas-y…, Zazie ! »

                                                            « - Mais comment vous connaissez mon blase ? »


Bon, autant te prévenir, je ne vais pas faire dans la dentelle, tes chevilles vont en prendre un coup, de quoi t’empêcher de danser quelque temps… Voilà le topo :

Comme tu le sais sans doute, Diaghilev aurait dit à Jean Cocteau encore très jeune : « Etonnez-moi !» ; il ne fut pas déçu du résultat, nous non plus par la même occasion.

Moi, je ne t’avais rien demandé, mais tu m’as plus qu’étonné, tu m’as tout simplement enthousiasmé ! Il aurait fallu que tu voies la tête que je faisais au volant de ma bagnole alors que je t’écoutais dialoguer avec Piéplu. Grâce à toi, Zazie et Oncle Gabriel avaient enfin trouvé leurs vraies voix, ils prenaient vie à défaut de prendre corps ; … et quelle vie !

Cette première écoute eut lieu le 18 juin sur la route de mes vacances. En cette année 2010, soixante dixième anniversaire du fameux appel du Général De Gaule, j’attaquai mon périple en écoutant avec émotion divers témoignages relatant ce fragile moment historique où, en pleine détresse, une voix se faisait entendre alors que la France se couvrait de honte …11 Le temps passe… Et nous revoilà avec le rouge au front en raison de l’expulsion des Roms, mais là, c’est une autre histoire… Après cela, il me fallut un changement radical. En toute logique, l’impertinente Zazie aurait dû m’assurer une sympathique coupure… J’avoue que j’attendais une honnête version théâtrale de l’œuvre de Raymond Queneau, une heure d’écoute facile, un bon moment de détente… Que nenni ! J’ai eu droit à du grand, du beau, du fort !


Première jubilation : Pieplu fredonne « Si tu t’imagines fillette, fillette… ». Le rapport entre la fillette et Zazie me saute aux yeux. Joli coup, belle introduction.

Puis, grosse surprise au cours de l’interview semi imaginaire en apprenant que Raymond Queneau a mis cinq ans pour écrire son roman ! Et moi qui aurais parié gros que, tel un joyeux potache, il aurait torché sa Zazie sur un coup de tête, histoire de se distraire… 

Mais voilà que commence vraiment l’histoire. Ben merde alors, j’attendais Oncle Gabriel déclamer sa fameuse interrogation « Doukipudonktan », et voilà que c’est Zazie qui s’en est emparée. Et quelle Zazie ! La voix même de l’impertinence, une gouaille unique qui illustre à merveille celle d’une gamine bien dégourdie, une gamine qui a grandi trop vite en raison d’un passé plus que chargé comme nous l’apprendrons bientôt… Face à cette Zazie plus vraie que nature, un magistral Tonton Gabriel en la personne de Claude Pieplu qui joue sur tous les registres. Du grand art !

Dès lors, je me suis laissé aller au plaisir de la découverte, j’ai savouré les répliques chargées de jeux de mots, eux-mêmes mis en valeur par de forts accents toniques qui collent parfaitement aux personnages. Tout y passe, un vrai grand bonheur littéraire, Ainsi, j’ai passé une bonne heure d’écoute pleine de surprises sans voir défiler les kilomètres.

Une semaine après, donc à mon retour des Alpes avec cette fois-ci Yvette à bord, nouvelle écoute, même bonheur, même enchantement. Ma douce épouse rit aux éclats ; nous ne voyons pas le temps passé, ce qui est fort appréciable sur six heures de conduite ! C’est là que j’ai décidé de te faire un courrier, mais hélas, sans me douter que la frappe sur le clavier de la main gauche me serait difficile, voire impossible.

Depuis, le temps a passé. J’ai souvent réécouté cet enregistrement, toujours avec le même plaisir. Chaque nouvelle audition déclenchait de nouveaux commentaires, jusqu’au jour où je me suis dit qu’il m’était impossible de te faire un courrier sérieux si je ne relisais pas l’œuvre originale ! Or donc, je m’y suis replongé. Là, curieusement, j’ai retrouvé intactes mes réflexions que je m’étais faites lors de ma première lecture, à savoir que ce livre démarre à cent à l’heure, mais qu’assez rapidement, rassasié par tant de bons mots et d’orthographes dénaturées, l’histoire s’embourbe. Non, franchement, ces touristes ne sont pas drôles, l’amour fou de la Veuve Mouaque pour Trouscaillon devient pénible, et leur virée Paris By Night me lasse 22 Comme je trouvais mon jugement par trop sévère, j’ai relu ces passages. Pris séparément, ils sont remarquables, mais l’ensemble étant « énorme », ils deviennent indigestes… L’idéal serait de lire chaque jour un seul chapitre.  . C’est également ce que j’avais ressenti en voyant le film de Louis Malle : Un jubilatoire démarrage qui s’essouffle rapidement jusqu’à musarder et se perdre. 

Alors, pourquoi qu’avec toi c’est du bonheur total ? Qu’as-tu fait pour qu’il soit ainsi ? La réponse tient en peu de mots : Parce que, telle Zazie, tu es restée libre en prenant le contrepied de tout ce qu’on pouvait attendre !

Reste à savoir comment…

*

* *


Si j’avais dû faire une adaptation théâtrale de Zazie, j’aurais tout bêtement suivi le fil de l’histoire en opérant des coupures ! Avec un tel procédé, cela aurait été un échec total, qui plus est, mérité ! Fort heureusement, je n’ai pas eu à le faire, ni pour Raymond Queneau, ni pour d’autres auteurs, et c’est très bien ainsi !

Toi, tu as magistralement évité cette embuche. Comment ? Je suppose en reprenant mot à mot tout le texte jusqu’à le mettre parfaitement à plat en surlignant au stabilo les plus beaux passages. Puis, ciseaux en main, tu découpas tout ce qui pouvait nuire à l’esprit de Zazie, n’écoutant en cela que les conseils de ton héroïne qui dit à propos des touristes, outre le fait qu’ils soient des cons : « Tout de même, faut pas s’imaginer que je vais me laisser trimballer avec tous ces veaux ! Allez, viens, on se tire ! » Ainsi, dans ton montage, l’épopée touristique devient insignifiante. Item pour la Veuve Mouaque dont les amours avec Trouscaillon passent à la trappe. Bien fait pour elle, je ne l’ai jamais trop aimée…


Après ce découpage artistique, tu t’es livré à un savant montage en recomposant l’histoire dans un extraordinaire flash back, qui plus est, en introduisant Raymond Queneau en personne, de telle sorte que Zazie peut enfin en découdre avec son auteur jusqu’à lui mener la dragée haute, lui prouvant qu’elle aussi a des lettres :

« Avunculaire ! J’ai écris çà moi ou c’est nouveau ? »

« C’est pour oncle que l’on dit ça… Oh ce n’est pas nouveau, et ça demande déjà une certaine culture…. ! »

« Ça raisonne déjà bien une moufflette de cet âge. »


Dans cette nouvelle mouture, Charles la ramène un peu moins, le perroquet de Laverdure proclame encore et toujours pour notre plus grand plaisir : « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire ! » (ce en quoi il a parfaitement raison !), Trouscaillon fait office de petit flic obséquieux, vachard à l’extrême et Tata Marceline s’avère toujours aussi discrète. Par ce judicieux dégraissage, Zazie et Oncle Gabriel s’en sortent magnifiés, resplendissants ; ils emportent d’emblée toute notre sympathie.

Mais ton grand tour de force est d’avoir donné au personnage de Zazie une profondeur qu’on a trop tendance à négliger à la lecture, oubliant bien trop vite que cette gamine a failli être la victime sexuelle de son père, puis celle de l’amant de sa mère. Alors que dans le livre cette révélation nous est donné au détour d’un chapitre comme une chose négligeable, toi, tout au contraire, tu nous la révèles en point d’orgue, comme l’aboutissement logique d’un bien trop cruel destin pour une gamine. Ainsi, grâce à toi, Zazie n’est plus cette «sale gosse » au langage bien trop vert, mais la victime d’une curieuse éducation parentale où les adultes ne pensent qu’à assouvir leurs pulsions sans se soucier qu’il y a une fillette dans les parages.

En cela, l’œuvre de Raymond Queneau prend encore plus de poids. Ce livre n’est plus un simple amusement, mais une bombe à retardement qui n’attendait qu’une pichenette pour exploser ; huit ans après sa parution, Mai 68 mettra enfin le feu aux poudres !

Si bien même que l’auteur peut s’écrier : « Je comprends tout ! Marrant ! Positivement marrant ! »

En fait, tu as travaillé comme les musiciens qui s’emparent d’un thème musical et le magnifie à l’extrême. Exemple ultra célèbre et ô combien prestigieux : Jean Sébastian Bach ! A partir de quelques notes énoncées à la flute par son roi, Frédéric II, Bach s’en est emparé, les remodela à sa façon en de multiples variations. Ainsi est née «  L’Offrande musicale » au grand étonnement du souverain !

Dans le jargon musical, on appelle cela « des variations » ; bien triste vocabulaire pour traduire l’hommage que désire faire un musicien vis-à-vis d’un artiste. Parmi ces fabuleux jongleurs, outre Bach déjà cité, je retiens parmi tant d’autres les noms de Mozart, Brahms, Charlie Parker, Duke Ellington, Nougaro et Gainsbourg. Tous, chacun à leur manière et à leur façon, ont fait chanter autrement et pour notre plus grand plaisir des thèmes originaux.

Toi, tu as pris le thème de Zazie, et les « variations » que tu lui as données auraient, selon toute vraisemblance, enchanté Raymond Queneau !

*

* *

 

Mais que serait ce texte sans une bonne interprétation ? Car c’est là que tout se joue, et de quelle façon !

Alors, oui, bon, d’accord, il y a l’interprétation de Claude Piéplu. On devine qu’il s’est régalé de la prose de Queneau jusqu’à s’en pourlécher les babines. Il endosse avec jubilation la surprise de l’auteur face à son héroïne, les noirs méandres de l’affreux Trouscaillon ainsi que la folie de Tonton Gabriel qui pérore plus qu’il ne philosophe. Il fait ma joie quand, alors que sa nièce Zazie est enivrée par l’odeur de « Barbouze de chez Fior » et qu’elle lui demande : « Tu m’en mettras un peu derrière les oreilles ? », il lui rétorque effarouché : « C’est un parfum d’homme… »


Mais face à ce comédien reconnu depuis longtemps, il y a toi, la modeste Evelyne Levasseur, qui lui taille le bout de gras. Pas question de faire l’humble petite comédienne à côté du grand maître. Tu tiens ton rôle, et comment ! C’est du délire. Tu es Zazie, une formidable Zazie, une Zazie qui m’a laissé pantois d’admiration, une Zazie qui fait ma joie.

D’abord, ta Zazie n’est jamais vulgaire bien qu’elle traîne un vocabulaire plus que chargé, absolument déconseillé aux enfants. Ta Zazie est nature, elle rétorque plus qu’elle ne répond. C’est une enfant sauvage à qui il ne faut pas conter des sornettes. Elle est droite dans sa paire de « bloudjinnzes » qui lui « colle aux fesses». Oui, charmante Evelyne, tu es une formidable Zazie qui mériterait d’être bien mieux connue… Mais tes élèves, savent-ils seulement que leur prof de français s’avère être également une comédienne hors pair ?


Et puis, il va de soi que j’aime particulièrement la façon que toi et ton comparse vous avez traduit les orthographes phonétiques par des accents toniques, voire aussi par des liaisons douteuses. Il me semble même que tu y as mis ton grain de sel dans la bataille que se livrent Zazie et l’auteur sur la façon de prononcer « Saint Mon-tron » ou « Saint Mont-ron », astuce vocale que je n’ai pas trouvée dans le texte de Queneau. Qu’importe, je suis certain qu’il aurait apprécié ! 


Dès lors, tu comprends ma joie et mon enthousiasme par rapport à ma toute première écoute par deux miteux dans un théâtre qui ne respectait pas les horaires. C’est le jour et la nuit par rapport à ce magistral enregistrement que je vais avoir le plaisir de faire découvrir aux amis.

*

* *


Voilà, j’en ai fini. Ô certes, je pourrais continuer ainsi en reprenant chaque phrase du texte, mais il faut savoir s’arrêter. En revanche, cela va être à ton tour de t’expliquer, car j’aimerai savoir comment s’est passé l’enregistrement. J’entends par là comment s’est comporté ton royal partenaire, s’il a accepté d’emblée ou s’il a fallu le titiller quelque peu, si en dehors des périodes d’enregistrement il s’est montré amical ou distant. Et puis, aussi, si vous avez répété longtemps, s’il y a eu de nombreuses reprises… Etc.

J’espère que tu me diras tout ça quand tu viendras à la maison.


Charmante Evelyne, tu me connais assez pour savoir que jamais ô grand jamais je n’aurais écrit tout cela si je ne le pensais pas. Certes, je traîne ce courrier depuis longtemps, mais je ne voulais pas t’écrire à la va-vite. Aussi, j’ai pesé mes mots, tourné mes phrases, arrondi certains angles et pris plein de bon temps pour te dire toute mon admiration.

Or donc, à titre de conclusion, je vais enfin  faire simple :


                  Encore Bravo… Amitiés et bises !

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Michel WELFRINGER